Le jeu libre : un besoin essentiel pour nos enfants et notre communauté

Une génération privée de jeu libre
En découvrant les travaux du Dr. Peter Gray, j’ai pris conscience d’un phénomène silencieux mais majeur : la disparition du jeu libre. Par « jeu libre », on entend ces moments où les enfants ont la totale liberté de jouer selon leurs élans, sans contraintes extrinsèques. Selon Gray, ce déclin n’affecte pas seulement la créativité et l’autodétermination des enfants, mais aussi des aspects cruciaux comme leur santé mentale et leur empathie.
Pour être pleinement humain, nous avons besoin de jouer.
Une initiative locale
Quand je suis arrivée à Waterville il y a trois ans, j’ai ressenti l’élan de contribuer à la communauté. L’idée de créer des terrains d’aventure éphémères a alors germé en moi. C’était simple : mettre à disposition des « pièces libres » (tissu, boîtes de carton, cordes, etc.) pour encourager le jeu libre dans les espaces extérieurs du village.
J’avais rencontré Marie-Claude Lacerte et Vincent Simard (cofondateurs de Vivace) lors d’une formation sur le jeu libre à Montréal quelques années auparavant. Lorsqu’ils ont emménagé à Waterville, je leur ai proposé de se joindre à l’aventure. Enthousiastes, ils sont devenus des alliés clés du projet.

| Photo: Jonathan Belzile

| Photo: Jonathan Belzile
Le village d’attachement
Au-delà du jeu libre, Marie-Claude et moi portions une autre vision : celle de tisser un village d’attachement.
Convaincue que l’humain n’est pas fait pour vivre isolé, nous avons vu dans le jeu libre une occasion de créer du lien entre les familles et de contrer un autre mal de notre époque : la solitude des parents.
Nous avons organisé des rencontres citoyennes pour discuter de la disparition du jeu libre et du concept de village d’attachement. Très vite, l’initiative a résonné auprès de familles du village et de ses environs qui se sont jointes au projet avec engouement.
Depuis le printemps 2024, chaque lundi après-midi, de 15h30 à 17h00, ces familles, leurs proches et autres visiteurs intrigués se rassemblent à côté du centre communautaire de Waterville pour jouer et échanger.
Un projet en constante évolution
En hiver 2024, Marie-Claude et Vincent ont choisi de se concentrer sur leur entreprise, me laissant poursuivre l’aventure avec un groupe fidèle de mamans qui ont fait de ce rendez-vous hebdomadaire un moment incontournable.
Bientôt, un partenariat avec le Collège François-Delaplace nous permettra d’entreposer le matériel de jeu dans un cabanon, assurant ainsi la logistique et la pérennité du projet. Ce partenariat vise aussi à renforcer les liens intergénérationnels, en créant davantage d’occasions de partage entre les familles, les jeunes et les aînés de la communauté.
Là fois où j’ai vu mon rêve communautaire se concrétiser – et où je me suis réconciliée avec le ballon-chasseur
Il y a 5 ou 6 ans, à Montréal, j’avais tenté une première saucette dans l’univers du jeu libre. C’était à l’initiative d’un organisme communautaire, dans un autre quartier que le nôtre. Nous nous rassemblions avec des gens que ni moi ni mes enfants ne connaissions ni d’Ève ni d’Adam, des familles que nous n’allions vraisemblablement pas côtoyer dans les prochaines années à moins d’avoir une énergie considérable à y consacrer – NOT.
L’objectif derrière l’invitation était louable, et en même temps, le ratio effort (Go, go, go, on va être en retard pour aller jouer à cet endroit trop loin avec des inconnus ! ) versus bénéfices (Tu ne trouves pas que cette famille a l’air chouette? ) était largement déficitaire.
Plus tard, au Nord de la province, nous étions surtout à la recherche d’une communauté. Un milieu de vie en pleine nature où nos enfants pourraient s’épanouir et où nous, parents, pourrions accueillir nos rides sereinement et collectivement. Mais le cadre enchanteur de notre petit hameau plein de promesses et les belles valeurs n’ont pas su faire le poids contre la démographie. 1h15 pour aller jouer avec d’autres familles motivées, c’est intense.
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Et puis nous voici à l’automne 2024.
Habituée des lundis Jeu libre Waterville depuis un moment, je sens que ça y est : nous sommes « arrivés à ce qui commence ».
Derrière le collège, au bout du stationnement, déjà j’affiche ma tête de vainqueur.
Ma fille est vite partie rejoindre une amie sous les pins. Mon garçon-grimpant est à mi-chemin du sommet d’un arbre parmi d’autres enfants. Un peu partout, des adultes rigolent, discutent. D’autres accompagnent des enfants qui s’inventent des mondes avec le matériel libre à disposition. Parmi la petite foule réunie, des visages connus. Certains ( plusieurs! ) sont des visages amis. Et encore une fois, de nouvelles familles curieuses font partie du lot.
La tête de vainqueur, c’est surtout celle d’un constat : ici, la chimie opère pour vrai.
J’ai la forte impression que, pour les parents aussi, l’initiative respire la liberté. En toute simplicité, l’espace devient terreau pour les rencontres, l’exploration, le jeu et la contemplation. On s’arrête un instant et on s’émerveille devant un concept soutenant et des connexions multiples.
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Ça faisait déjà quelques fois qu’une partie de ballon-chasseur s’improvisait. Et ça faisait tout autant de fois que j’assistait au plaisir contagieux d’adultes et d’enfants de tous âges. Aujourd’hui, c’est à mon tour, j’y vais. Peu importe que j’aie la « garnotte» la moins foudroyante de l’histoire de l’humanité et les souvenirs de primaire qui viennent avec, je rejoins mon fils sur le terrain. « Maman, tu joues !» qu’il m’envoie avec ses grands yeux ronds. Oui, chéri, j’ai troqué les conversations existentielles pour de beaux ballons en caoutchouc et un voyage dans le temps.
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Il y aurait sans doute une étude sociologique à faire sur ce moment et cet endroit précis où chacun prend soin, considère l’Autre, s’amuse et se relie. C’est vraiment inspirant. Zéro obligation. Juste du gros plaisir et un paquet de monde que je recroiserai dans les prochains jours, les prochains mois, les prochaines années peut-être bien.
Je les retrouverai dans nos maisons, lors de célébrations, à La Tribu des bois, au centre communautaire, au fournil, au Mandragore, à la poste, à la bibliothèque au marché fermier, à l’épicerie, au parc, sur les sentiers d’Accès-Nature, à la pinède et à la plage de North Hatley…
Certainement qu’il y aurait encore beaucoup à écrire ici pour illustrer la gratitude et l’enthousiasme communautaire auxquels Jeu Libre Waterville a contribué pour beaucoup de familles dont la mienne. Mais écrire davantage, ça voudrait aussi dire moins de temps pour jouer, non ?
Véronique Pion

La culture du jeu libre, ça se cultive à Waterville !
Depuis que les garçons sont jeunes, je m’émerveille de constater leur imagination et leur créativité dans leurs jeux. Une boîte qui devient un traversier, une butte de neige qui devient une mine, des bouts de bois qui deviennent une catapulte…Plus le matériel disponible est polyvalent et plus les possibilités sont infinies.
Quand je me remémore ma propre enfance, je me rends compte que mes plus beaux souvenirs de jeunesse sont ceux passés sur la grève au bord du fleuve en vacances avec mes grands-parents. Je pouvais passer des heures en toute liberté avec ma sœur à nous inventer notre monde et nos jeux avec les objets naturels disponibles. C’est donc instinctivement que nous avons commencé à cultiver cette culture à la maison avec les enfants en passant énormément de temps à l’extérieur durant nos journées. Le défi rencontré était de partager ces moments avec d’autres familles.
Sur la Rive-Sud de Montréal, entre les activités structurées, les horaires chargés et les distances à parcourir pour se voir, rares étaient les occasions de se rassembler sous ce thème. À la recherche d’un milieu de vie en nature avec un esprit de vie communautaire, nous sommes partis en exploration à l’été 2023. De passage à Waterville lors d’un week-end, nous avons assisté à l’un des rassemblements de Jeu Libre Waterville. En échangeant avec des familles et en étant témoins de la richesse de ces moments de jeu entre les enfants, il y a eu un déclic qui a fait : « Oui ! Je crois que c’est ici que nous devons prendre racine. »
Voilà maintenant presqu’un an que nous sommes emménagés au village et force est de constater que notre intuition était bonne. Le village d’attachements que nous espérions tant pour notre famille est en pleine construction. Je sens que le terreau est fertile pour permettre à chaque membre de notre famille de s’épanouir. Jeu Libre y est pour beaucoup. Avoir la chance de partager cet espace-temps où il n’y a rien de précis à faire, mais seulement la possibilité d’être présents aux autres et où les enfants peuvent jouer librement est très précieux. Une bonne dose de jeu, des liens vrais et authentiques et de la liberté voilà quelques-uns des ingrédients de cette recette très inspirante!
Émilie Girard