Kyra, une artiste enracinée dans son milieu de vie

Photo: Ben Fry

Aurélien Marsan

Rédacteur en chef et journaliste
30.09.2024

Kyra Shaughnessy est une artiste-compositrice-interprète qui réside à Waterville depuis cinq ans. Elle vient de fêter le treizième anniversaire de la sortie de son premier album professionnel, intitulé Kyra Shaughnessy

« Cet album est en fait mon deuxième », précise-t-elle. En effet, le premier avait été sorti en 2009 et avait été enregistré de façon semi-professionnelle avec un ami – Irie Kensuke – qui faisait sa maîtrise en technicien de son à l’Université McGill et avait accès à un studio tout équipé pour enregistrer. One Step Closer était alors pour Kyra un premier pas en direction de la carrière d’artiste-compositrice-interprète professionnelle. Elle y chante seule en s’accompagnant à la guitare. 

Un premier pas fructueux 

Sur l’album Kyra Shaughnessy paru un peu plus tard en décembre 2010, Kyra est accompagnée par pas moins de sept musiciens professionnels ! S’en sont suivis cinq autres albums, dont le dernier Territoires (sorti en février 2023) qui a été réalisé en collaboration avec Nicholas Williams, et entièrement produit et enregistré ici même à Waterville. Il inclut même des enregistrements de paysages sonores de Waterville, décrit comme le territoire traditionnel abénaki sur la page bandcamp de l’album. 

Et ce dernier projet est dans la ligne directe de ce qui inspire et anime la démarche artistique de l’artiste : la proximité, le lien, la connexion au territoire et à la communauté. « L’essentiel de cet album, c’est de revenir à ce qui est proche de nous, et voir comment on peut l’apprécier de plus en plus profondément et bâtir des liens qui sont durables à travers le temps et authentiques », affirme Kyra. 

Des spectacles de proximité

Des liens qui ont toujours été au centre des choix de l’artiste. Elle a embrassé depuis 2006 une vie de tournée presque à temps plein, en parallèle avec des études en design en permaculture dans l’espoir  de créer une communauté sur une terre où elle a grandi à Audet. Sa carrière l’a amenée un peu partout à travers le Canada, puis aux États-Unis et en Europe, avant de se recentrer par choix sur les régions du Québec et de l’Ontario, afin de minimiser les déplacements. Kyra s’est alors beaucoup produite dans des milieux ruraux, des petits villages du Québec, où elle trouvait l’accueil et le lien direct avec le public qu’elle recherchait. En plus du sentiment de contribuer à apporter la culture dans des milieux qui en avaient besoin. « J’ai toujours aimé jouer dans des petites salles, faire des concerts de maison, rencontrer les gens et avoir des liens authentiques en plus d’en profiter pour découvrir des nouvelles régions », indique-t-elle. 

Un parcours aux antipodes des tournées plus conventionnelles où les spectacles sont organisés les uns après les autres, en jouant et en repartant le soir même. Kyra souhaitait dès le début prendre le temps, profiter d’une vraie présence avec le public, de moments d’échanges de qualité, et bâtir des relations durables. « Il y a des lieux où je retournais à chaque année parce que j’avais créé des liens importants à ces endroits », témoigne Kyra. 

Une façon de faire en accord avec son art. « J’ai le goût de jouer pour des salles où le public souhaite vraiment entendre et écouter. J’ai commencé par la poésie, et les paroles sont très importantes pour moi », partage-t-elle. 

Photo: Liam David

Et de quoi parle-t-elle ? 

Dans ses débuts dans le monde du slam et de la poésie performée, l’engagement de l’artiste était beaucoup plus politique, avec des éclairages vers des situations précises, et des revendications d’ordres social et environnemental. Cet engagement se reflète dans son premier album One Step Closer, dont les titres des pistes sont évocateurs : Montréal deconstruction, The privilege song, Say something ou encore At least we are not americans

Puis un voyage au Nicaragua à l’âge de 18 ans l’a amenée à rencontrer le quotidien de familles vivant dans une grande sobriété matérielle, dans un pays récemment sorti de guerre, et qui, pourtant, nourrissaient une joie et des valeurs de partage qui l’ont particulièrement marquée. « Le contraste entre ces gens-là et mon groupe de cégep, jeunes d’Amérique du Nord en attente de confort, m’a vraiment poussée dans une autre direction », dit l’artiste. « Et quand je suis revenue, je me sentais très claire sur le fait que pour moi ce qui était le plus important de communiquer au travers de mon art, c’était l’amour, en enlevant tout ce qui était non essentiel. J’avais besoin de simplicité, d’aller au cœur des choses, et de transmettre davantage cette capacité à se connecter avec quelque chose de plus grand, d’être centrée dans l’amour et la joie. »

Portée par  les cultures ancestrales 

Un autre approfondissement de la pratique de Kyra s’est produit en 2013, alors qu’elle était invitée à participer au projet intitulé Manawan 2014 porté par Partenaires pour la paix de Sherbrooke. Pour ce projet, quatre auteurs-compositeurs-interprètes se sont réunis en territoire atikamekw, à Manawan, afin de partager, de dialoguer et de cocréer des pièces originales. Ensemble, les deux artistes québécoises et les deux artistes atikamekw de Manawan ont produit un EP, destiné à faire se croiser cultures. « Ce projet-là m’a vraiment mise sur un chemin. Tous mes albums par après portaient une attention sur les langues ancestrales, et la collaboration avec les porteurs de cultures en voie de disparition ou en besoin de revitalisation. »

Waterville, c’est le paradis

Une carrière artistique nourrie depuis plusieurs années donc. Avec maintenant sept albums à son actif, en plus de nombreuses autres collaborations artistiques, Kyra Shaughnessy poursuit ses activités à partir de Waterville. « Je n’ai plus tant le temps ou le besoin de faire de la tournée tellement je me sens comblée à faire des projets dans la région locale », affirme-t-elle. « Je me sens ici chez moi, entourée par une communauté de personnes qui me ressemblent, et une communauté artistique avec laquelle j’ai le goût de collaborer et de faire des projets. » 

Elle trouve notamment à Waterville une ambiance chaleureuse et plusieurs complices de chants qui habitent tout près. « Ça faisait longtemps que je cherchais des gens avec qui je pouvais chanter a capella juste pour le plaisir. Et c’est une des choses à Waterville que j’adore et que je trouverais difficile de laisser aller ! Pouvoir croiser du monde dans la rue et chanter ensemble une toune qui vient de n’importe où dans le monde. Avoir un répertoire partagé, ou bien même juste d’autres personnes qui veulent improviser ensemble musicalement ; pour moi c’est comme le paradis ! », dit-elle avec un enthousiasme notable. 

Autant de raisons qui lui font accepter les compromis bien spécifiques à Waterville. « C’est sûr que je suis quelqu’un de sensible au bruit » , confie-t-elle, « et si ça devenait plus bruyant, ça dépasserait ma limite, surtout au niveau du bruit des usines. » 

Une piste à entendre pour améliorer la qualité de notre milieu de Vie en améliorant l’acoustique de Waterville ? 

Un conseil à donner aux Watervillois jeunes ou moins jeunes qui aimeraient se lancer dans une carrière artistique ? 

« J’ai fais un peu de coaching artistique, répond-elle immédiatement, et une des choses que j’ai remarquée le plus souvent avec les personnes qui commencent, c’est qu’ils ont de la difficulté à voir la valeur de ce qu’ils ont à offrir au niveau artistique. Alors si j’avais une seule chose à dire, ça serait de se rappeler à quel point l’art est essentiel à la vie humaine. Je souhaiterais que chaque personne qui a des élans d’offrir de l’art dans le monde puisse le faire à partir d’un lieu où elle voit la valeur intrinsèque de l’art sous toutes ses formes, et comment sans art, il n’y aurait pas de vie. Et si on se met dans cette posture-là, ça aide à placer tous les choix, avant de commencer à se lancer. » 




À propos de Aurélien Marsan

Rédacteur en chef et journaliste
Aurélien est ingénieur de formation. Il a enseigné à l'Université de Sherbrooke avant d'effectuer un virage à 180 degré pour devenir boulanger artisanal. Il est également un artiste des arts de la parole, en plus d'être l'auteur d'une infolettre d'information à propos de ce qui se passe à Waterville. Son intelligence évidente, sa curiosité pour les autres et son désir de faire croître le sentiment d'appartenance de sa communauté, faisait de lui un candidat en or pour donner son envol à ce nouveau journal.
Vous avez aimé cet article? Partagez-le!

S'abonner à l'infolettre?
C’est simple.

Sélectionnez vos champs d'intérêts

Recevez les actualités par courriel!

Je veux m’abonner